mercredi 22 juin 2011

CONVERSION ET APPROCHES D’ÉVANGÉLISATION : COMPRENDRE NOTRE MISSION

 
L’évangélisation est attachée à l’existence et à la vie de l’Église ; celle-ci existe en raison de la mission que Dieu lui a confiée (Mt.5:14-16 ; 28:18-20 ; 1Pierre 2:9 ; Apoc.10:11 ; 14:6-7). L’admission des nouveaux membres fait partie de ce vécu de l’Église ; l’Église attend comme résultat de son action que le maximum d’individus se convertissent au Christ. Dans ce processus d’évangélisation, il y a toujours collision entre le message, les comportements de l’évangéliste et ceux de sa cible. Ce conflit de comportements a souvent conduit plus d’une personne à revoir ses approches d’évangélisation et a fait naître la tendance croissante d’admettre de « nouveaux convertis » sans requérir d’eux une réelle conversion.
Dans cet article, nous comptons examiner cette question et montrer que la repentance, la conversion et le changement de conduite de la personne cible d’évangélisation sont des attentes inaliénables de la mission chrétienne. Nous allons à cet effet remettre en exergue l’essence de cette mission chrétienne et analyser par quelle méthodes on peut affronter les diverses cultures sans mettre en péril l’impératif missionnaire chrétien.
Faire des disciples : notre impératif missionnaire
Le premier principe que l’on doit garder à l’esprit sur le terrain d’évangélisation est celui de « faire des disciples. » Dans Matthieu 28 :19-20 on lit : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint -Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde. »
Une compréhension de la phrase « poreuthéntes oun mathèteusate panta ta ethnè » (allez donc, faites de toutes les nations des disciples) montre la prééminence du verbe « mathèteuô » (être disciple) qui se trouve être le seul impératif du texte. En d’autres termes la mission principale donnée aux apôtres est de faire des disciples. Parmi les autres verbes attachés à ce mandat évangélique se trouvent «baptizontes» et « didaskontes » tous des participes présents, respectivement du verbe baptiser et du verbe enseigner, décrivant les actions du processus de faire des disciples. C’est dire que dans ce processus « faire des disciples » reste l’impératif, donc l’objectif primordial tandis que baptiser et enseigner restent les moyens ou la démarche.
Il faut pourtant souligner l’inséparabilité des éléments ici soulignés : on ne pourra jamais faire des disciples sans baptiser et sans enseigner à observer les prescriptions du Christ. En réalité, on ne pourra vérifier le statut de disciple d’un individu que quand on constatera son observation des principes du Maître. Sans cette observation, la mission restera inachevée !
Le changement d’orientations de vie et de pratiques est donc l’une des choses attendues comme résultat de l’évangélisation. Tous ceux qui sont exposés à l’évangile sont confrontés au choix d’abandonner leur ancienne manière de vivre et devenir de vrais disciples ou alors ne pas adopter le changement et rester non disciple.
Ces notions s’illustrent bien dans le cas de la prédication de Pierre au jour de la pentecôte. Quand les gens lui posèrent la question de savoir comment réagir à son prêche (Actes 2:37) Pierre répondit : « Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, à cause du pardon de vos péchés; et vous recevrez le don du Saint -Esprit. » Plus tard dans un autre prêche Pierre dit : « Repentez-vous donc et convertissez-vous, pour que vos péchés soient effacés » (Actes 3:19). On a ici l’écho de ce que l’on trouve déjà dans la prédication de Jean Baptiste :
Produisez donc des fruits dignes de la repentance, … La foule l'interrogeait, disant: Que devons-nous donc faire ? Il leur répondit: Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a point, et que celui qui a de quoi manger agisse de même. Il vint aussi des publicains pour être baptisés, et ils lui dirent: Maître, que devons-nous faire ? Il leur répondit: N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné. Des soldats aussi lui demandèrent: Et nous, que devons-nous faire ? Il leur répondit: Ne commettez ni extorsion ni fraude envers personne, et contentez-vous de votre solde (Luc 3 :7-14).
Là aussi on observe des gens qui, touchés par le message, s’attendent à changer de vie et qui demandent ce qu’ils doivent faire ; question à laquelle Jean Baptiste répond en proposant l’abandon d’anciennes pratiques et l’adoption d’un nouveau style de vie.
La question de la contextualisation : un principe incompris
Plusieurs personnes ont souvent milité en faveur de l’admission tels quels des candidats au baptême dans l’Église, même s’ils n’ont manifesté aucun signe de repentance et de conversion. Ils ont souvent évoqué à ce sujet le principe de la contextualisation qui voudrait que l’on intègre dans les méthodes missiologiques les principes de la culture cible d’évangélisation. Nous allons brièvement mettre en lumière cette notion de contextualisation et la mettre en harmonie avec l’exigence de faire des disciples.
Nous pouvons plus facilement résumer la notion de contextualisation avec les deux principes suivants :
-  Dieu rencontre les gens là où ils sont[1] et les amène là où Il est :
Ce principe est lui-même observable dans l’ordre de Mission de Jésus : l’usage aussi bien du verbe « poreuomai[2] » (aller) que de l’expression « ta ethnè » (tous les peuples) montre que l’on doit aller vers les peuples, donc les trouver où ils sont. Cela signifie connaître et respecter la valeur qu’ils accordent à leur culture. Si ces données culturelles sont contradictoires à l’évangile elles devront alors être changées par la puissance de l’évangile. Par la contextualisation, l’évangéliste entre dans une culture sans la rejeter d’emblée, il y agit et interagit en intégrant dans sa conduite les éléments de cette culture qui ne sont pas contradictoires à la vérité biblique.
-  Dieu enseigne du connu vers l’inconnu :
La contextualisation exige que l’évangéliste qui entre dans une culture adapte son message à la compréhension de la culture cible. Il doit donc employer le langage et les éléments culturels connus par les gens de cette culture et savoir trouver le pont pour les amener vers l’inconnu de la culture chrétienne.
Nous allons illustrer et expliciter les deux principes ci-dessus par deux textes importants de l’Écriture :
(i)     Paul à Athènes, Actes 17:16-34
Ce texte illustre bien comment Paul contextualise son message dans la ville grecque d’Athènes. Paul arrivé à Athènes est dérangé (v.16) par la présence de beaucoup d’idoles. Mais Athènes est une ville cosmopolite : diverses traditions religieuses (des idolâtres, v.16 ; des juifs et des hommes craignant Dieu, v.17) ; divers courants culturels et philosophiques (épicuriens et stoïciens, v.18).
-    Élément de compréhension de la culture cible (17-22): Paul parcourt la ville pour en connaître les données religieuses et sociales. il pourra donc dire dans son adresse de façon inclusive : « Hommes Athéniens, je vous trouve à tous égards extrêmement religieux » (v.22).
-    Paul trouve les gens où ils sont : Paul discute avec eux dans les synagogues, dans les places publiques (v.17) et devant le conseil de l’Aréopage (v.19). Paul parle leur langue et connaît même leur littérature et leurs poètes (« C'est ce qu'ont dit aussi quelques-uns de vos poètes: De lui nous sommes la race... », v.28).
-    Paul enseigne à partir du connu de ses auditeurs : De façon saisissante Paul ne commence pas par critiquer leur idolâtrie où leur mauvaise philosophie. Au contraire il loue leur religiosité (« je vous trouve à tous égards extrêmement religieux », v.22). Il prend leur religiosité, leurs lieux et objets de culte comme base de réflexion (v.23).
-    Paul dirige ses auteurs vers l’inconnu : C’est aux versets 23 et 24 que Paul réussit à trouver le pont, le lien entre la connaissance préalable des Athéniens et ce qu’ils ne connaissent pas : « j'ai même découvert un autel avec cette inscription: À un dieu inconnu ! Ce que vous révérez sans le connaître, c'est ce que je vous annonce. Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve » Partant de leur polythéisme et leur idolâtrie de base, il dirige leur attention vers le monothéisme et la croyance au Dieu créateur (v.23-29).
-    Appel à la repentance : fait remarquable, Paul prêche la repentance et le rejet de l’idolâtrie. Ceci démontre que dans une démarche de d’évangélisation où il rencontre ses auditeurs dans leur culture, Paul n’oublie pas l’objectif principal qui est de faire d’eux des disciples du Dieu Créateur.   L’évangéliste trouve les gens où ils sont et les amène là où Dieu est !
-    Résultat : Nous ne devons pas négliger d’apprécier le résultat de l’évangélisation d’Athènes décrite dans Actes 17. Elle est la marque même de toute évangélisation avec une ouverture sur deux réactions possibles.
De même qu’à l’écoute du message de Paul « les uns se moquèrent » et que d’autres le renvoyèrent à une autre fois (v.32), il y aura toujours des gens qui rejetteront le message de l’évangile même quand l’on a eu une bonne démarche de contextualisation ; ils refuseront de se convertir au Christ parce que cette décision est contraire à leur style de vie et que le rejet de leur ancienne culture leur est difficile.
En outre on remarque qu’à Athènes « Quelques-uns néanmoins s'attachèrent à lui et crurent, Denys l'aréopagite, une femme nommée Damaris, et d'autres avec eux » (v.34). Ceux-ci représentent des fidèles de qualité qui acceptent de se convertir réellement et tourner le dos à leur ancienne vie. Nous avons toujours le choix entre rabaisser les standards du christianisme pour avoir des résultats numériques plus importants et prêcher la repentance et la conversion au risque d’avoir des moindres résultats numériques mais d qualité.
C’est ici le lieu de signaler que c’est un leurre de croire que rabaisser les standards religieux induit forcément une croissance. Quand on est sûr qu’une telle croissance n’est pas de qualité, des études récentes montrent même que les groupes religieux libéraux régressent en nombre. Les citations suivantes sont éloquentes en la matière :
Les églises (évangéliques et protestants fondamentalistes) qui font des grandes demandes morales et doctrinales à leurs membres croissent… La gentillesse théologique, l’adoration avant-gardiste et le politiquement correct sont une prescription pour la catastrophe ecclésiastique. Des millions de personnes s’en vont parce qu’elles n’ont aucune bonne raison de rester[3].
Rabaisser les standards pour sauvegarder la popularité et accroître le nombre, et faire de ce nombre une source de réjouissance démontre un grand aveuglement. Si les chiffres étaient l’évidence du succès, Satan pourrait bien revendiquer la prééminence, car ses adeptes forment largement la majorité dans ce monde[4].
(ii)   Comment s’adapter à une nouvelle culture, 1 Corinthiens 9:5-27
Un des textes communément cités pour justifier l’acceptation de nouveaux membres dans l’Église sans leur demander de manifester des signes de repentance est la déclaration de Paul :
Avec les Juifs, j'ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi (quoique je ne sois pas moi-même sous la loi), afin de gagner ceux qui sont sous la loi;  avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi (quoique je ne sois point sans la loi de Dieu, étant sous la loi de Christ), afin de gagner ceux qui sont sans loi. J'ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. (1Cor.9:19-22)
L’argument sommaire que les gens retirent de ce texte est qu’à l’exemple de Paul il faudrait recevoir chacun comme il est sans exigence aucune de changement, ce qui serait un meilleur exemple de contextualisation de la vie chrétienne.
Ce texte doit être lu à la lumière du contexte de ce que Paul est en train de discuter. Il se trouve dans la section de la première épitre aux Corinthiens où Paul discute de ses droits en tant qu’apôtre. Cette discussion peut être subdivisée comme il suit : 
 1Cor 9:1-14:
Les droits des apôtres
Dans cette section, Paul pose un certain nombre de questions pour affirmer la légitimité de ses droits d’apôtre. A la question « ne suis-je pas apôtre ? » il répond : « Si pour d'autres je ne suis pas apôtre, je le suis au moins pour vous; car vous êtes le sceau de mon apostolat dans le Seigneur. » (vv.1-2). Il demande alors : «N'avons-nous pas le droit de manger et de boire ? N'avons-nous pas le droit de mener avec nous une sœur qui soit notre femme, comme font les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas ? Ou bien, est-ce que moi seul et Barnabas nous n'avons pas le droit de ne point travailler ? » (vv.4-6) Questions pour lesquelles il fait un exposé des Écritures (vv.8-13) pour montrer que « le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l'Évangile de vivre de l'Évangile »(v.14). Paul démontre bien qu’l a des droits comme les autres apôtres en ont.
 1Cor 9:15-17: 
Renoncement de Paul à ces droits
Dans ces versets Paul énonce le fait qu’il n’a pas usé de ses droits d’apôtres.
  1Cor 9:18-27: 
Justification de son renoncement à ces droits
Ces derniers versets sont la raison que Paul donne sur son renoncement à ses droits. Sa motivation est claire : « Je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre. » (v.19) Nous sommes ici en face du principe de contextualisation que Paul emploie pour justifier son action (le cas échéant étant le renoncement à ses droits d’apôtre). C’est dans cette mouvance qu’il montrera qu’il s’est adapté à chaque milieu (vv.20-22) pour gagner un grand nombre à l’évangile ; d’où la phrase «J'ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver de toute manière quelques-uns. » Paul comprend  par ailleurs son adaptation à chaque milieu comme une discipline (vv.24-27) à laquelle il se soumet volontiers à cause de l’évangile et de sa récompense (vv.23,27).
Ce que l’on comprend par ricochet à sa discussion justifiant ses droits d’apôtres est que Paul, dans une démarche de contextualisation, agissait différemment selon les milieux. Pour ne pas risquer d’entrer en collision avec le principe de faire des disciples et de prêcher la repentance, nous devrions chercher à comprendre la portée et le champ d’application de son changement de conduire : les principes moraux étaient-ils concernés ? Une harmonisation avec sa prédication de la repentance à Athènes montre que sa contextualisation ne mettait pas en péril les principes moraux mais que son adaptation concernait les éléments comportementaux qui n’avaient rien à voir avec le salut et qui variaient d’une culture à l’autre.
Nous pouvons illustrer cela avec la conduite de Paul au sujet de la circoncision. Dans Galates 2[5], nous observons que Tite, « qui était Grec, ne fut même pas contraint de se faire circoncire » (v.3) alors qu’il voyageait avec Paul. Dans ce même chapitre il affirme aussi avoir résisté à Pierre qui avait usé de dissimulation à ce sujet (11-14). A contrario, on remarque une attitude différente dans Actes 16 où Paul fait circoncire Timothée : « Paul voulut l'emmener avec lui; et, l'ayant pris, il le circoncit, à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux-là, car tous savaient que son père était grec » (v.3).
L’on ne manquera pas de remarquer que ceci se passa après le concile de Jérusalem (Actes 15) où il avait été clarifié que la circoncision n’était pas une condition de salut et qu’elle ne devait pas être imposée aux païens. Le texte montre cependant que Paul y astreint Timothée « à cause des Juifs. » Même si cela n’était pas une condition du salut, Timothée devait se faire circoncire pour ne pas être systématiquement rejeté par les juifs. C’est ici la notion d’adaptation de Paul d’un milieu à un autre. L’on devra aussi comprendre que la circoncision n’était pas une violation de la loi de Dieu et pouvait être effectuée sans que les principes de Dieu ne soient mis en cause.
Ceci montre que dans la démarche de contextualisation, les comportements de la culture cible peuvent être adoptés par l’évangéliste quand ceux-ci ne sont pas en contradiction avec les principes de la loi de Dieu. Ceci confirme aussi que les points doctrinaux (l’enseignement) qui accompagnent la démarche missionnaire ne doivent pas être abandonnés au motif de la contextualisation ; l’évangéliste ne doit pas se conformer aux comportements immoraux de la culture cible (Rom.12:2) ni assouplir les principes pour le gain des âmes.
C’est parce qu’une confusion dans ces notions missiologiques que de nombreuses questions doctrinales ont souvent été laissées de côté lors des démarches missionnaires. Cela, comme nous l’avons relevé en introduction de cet article, est généralement source de désordre et de tensions dans la suite. De meilleures approches calquées sur les exemples de Paul permettre de concilier la mission chrétienne et le respect de la culture cible.


[1] « Dieu rencontre les gens là où ils sont » est un principe formulé par Jon Paulien dans l’Interprétation de la Bible, Voir par exemple What the Bible Says About the End-Time (Hagerstown, MD : Review and Herald, 1998), p.35 ou ‘’Hermeneutics of Biblical Apocalyptic’’ in George Reid, ed., Understanding Scripture : An Adventist Approach Biblical Research Institute Studies, vol.I (Silver Spring, MD : Biblical Research Institute, 2005), p.250. Nous appliquons ce principe à la Missiologie en le juxtaposant à un autre principe pour avoir une idée complète.
[2] Il se présente dans le texte comme un participe aoriste passif que l’on traduit en français par un impératif « allez »
[3] George Whital, cité par C.D.Brooks dans “I Want my Church Back”, sermon publié dans http://www.adventistsaffirm.com/article.php?id=30
[4] Ellen G. White, Testimonies for the Church, vol 6. pp.143-144
[5] Une étude attentive révèle que Galates 2:1-7 au moins comporte de nombreux thèmes parallèles avec 1Cor.9. Le thème de l’évangélisation (1 Cor 9:12,14,16,18,23; Gal 2:2,5,7,14), la notion démarche missionnaire comme étant une course (1Cor.9:23-27 ; Gal.2:2), une exposition du message différente selon les catégories de personnes (1Cor.9 :20-21 ; Gal. 2:2-9) ; la peur de disqualification à l’issue de la démarche évangélique (1Cor.9:27 ; Gal.2:2)